Ils dirigeraient le monde en sous-main, leurs rites initiatiques seraient totalement secrets, certains les accusent de pactiser avec le diable. Mais qui sont-ils réellement ? La franc-maçonnerie remonte à plusieurs siècles, voire, selon certains, beaucoup plus loin encore. Ils ont toujours fait couler beaucoup d'encre et c'est encore le cas aujourd'hui. Il est très intéressant de comprendre réellement qui sont les francs-maçons et de savoir quelles sont leurs activités. Car en fait, ils sont certainement à l'origine de certaines évolutions culturelles, mais pas, contrairement à la légende, aux manettes de la politique d'aujourd'hui. Voici d'où vient ce mouvement, ce que font ses membres et comment y entrer si on le souhaite.
Aux origines de la franc-maçonnerie
Les francs-maçons eux-mêmes ne sont pas unanimes quant à leur origine. Certains la datent du temps des cathédrales, arguant que ce fut initialement un regroupement corporatif, représenté par les bâtisseurs. D'autres font remonter la naissance de la franc-maçonnerie bien plus loin, peut-être lors de la construction des pyramides. Le lien avec les grandes réalisations architecturales est largement accepté. Il s'agit de la franc-maçonnerie dite « opérative », c'est-à-dire de métier, par opposition à la franc-maçonnerie « spéculative », qui s'est ouverte à des membres non professionnels, et fondée sur la réflexion et la bienfaisance.
Ce que l'on sait en revanche, c'est que la formation formelle de la franc-maçonnerie spéculative date de 1717 en Angleterre. C'est en effet le 24 juin de cette année-là que la première obédience maçonnique au monde fut créée. Il s'agissait de la Grande loge de Londres et de Westminster. Une obédience est un regroupement de plusieurs loges, qui sont elles-mêmes des groupes de travail d'une quarantaine de membres. Une loge est dirigée par un président, le vénérable, et choisit son thème de travail (sociétal, humanitaire…).
En France, les premières loges ont vu le jour à Paris en 1728. La Grande Loge de France, créée en 1738, fut la première obédience hexagonale. Elle fédère aujourd'hui 935 loges.
Idées fausses et fantasmes liés aux francs-maçons
La franc-maçonnerie alimente des fantasmes aussi divers que nombreux. Les controverses autour des activités maçonniques sont liées à son côté occulte notamment. Ce manque de transparence rend évidente, pour certains, une influence sur l'univers de la politique comme celui des affaires. Ceux-là y voient une volonté de prise de contrôle du monde.
Mais les théories du complot sont quelque peu alimentées, admettons-le, par de célèbres faits divers tels que ceux de la loge P2 en Italie (Propaganda due), qui s'est avérée être une organisation criminelle, liée à des faillites (la banque Ambrosiano) et des meurtres notamment. Rappelons néanmoins que celle-ci a été radiée par la Grande Loge d'Italie, ses activités étant donc totalement clandestines.
Citons encore les épopées romanesques de certains célèbres francs-maçons tels que Joseph Balsamo (comte de Cagliostro), personnage mystérieux, mais réel, devenu, sous la plume d'Alexandre Dumas, un occultiste membre d'une puissante société secrète, conspirant pour la chute de la royauté.
Bien que sans lien avec la franc-maçonnerie, l'Affaire des Illuminés de Bavière (ayant fait naître une idéologie sur les Illuminatis) au XVIIIe siècle, a alimenté bien des théories du complot rejaillissant sur les francs-maçons. Cette société secrète radicale, se réclamant de la philosophie des Lumières, a ourdi des complots contre l'État et l'église catholique, avant d'être dissoute.
La franc-maçonnerie a été associée aux services secrets britanniques durant la Seconde Guerre mondiale, car elle fut infiltrée par ceux-ci. Finalement, il s'agit souvent de raccourcis faciles et pénalisants. Par ailleurs, l'idée selon laquelle tous les francs-maçons sont athées est erronée, car certaines loges sont proches de la religion. En outre, si certaines sont totalement agnostiques, d'autres insistent pour que leurs adeptes croient en Dieu ou, à tout le moins, à un Créateur (appelé par certains d'entre eux le Grand Architecte).
Freemason Lodge, à Londres : la principale loge franc-maçonne dans le monde. Photo : Airtony
Les activités des francs-maçons
La franc-maçonnerie est plutôt une organisation fraternelle, qui, issue d'une corporation de bâtisseurs, s'est ouverte pour accueillir toute bonne volonté désireuse de réfléchir collectivement sur des faits de société. Dans la pratique, les francs-maçons se réunissent par groupes de travail, les loges, présidées par un « vénérable ». Une loge comprend généralement une quarantaine de personnes et se réunit en moyenne deux fois par mois. Les réunions sont nommées des « tenues » et sont auréolées de mystère de par les rituels qui les entourent.
Pour éclairer notre propos, citons l'obédience du Grand Orient de France, dont les trois grandes orientations sont l'école, les droits de l'Homme et la fraternité. Se considérant comme les héritiers des Lumières (mouvement intellectuel né au XVIIIe siècle), les Frères et Soeurs de cette obédience considèrent que leur devoir est de porter les valeurs humanistes dans la société de toutes les façons.
Les francs-maçons sont à l'origine de certains grands concepts du monde moderne. On leur doit par exemple la promotion de la laïcité et, dans une certaine mesure, la séparation de l'Église et de l'État. Ils ont véhiculé des idées abolitionnistes, menant à l'émancipation des esclaves.
Les obédiences maçonniques en France
Il naît et disparaît des obédiences maçonniques en permanence. Nous allons donc nous limiter aux historiques, découlant toutes de la Grande Loge de France, qui se transforma elle-même pour devenir le Grand Orient de France en 1773. Il y a eu plusieurs scissions, dont sont issus notamment :
- le Suprême Conseil de France, fondé en 1821 ;
- la Fédération française de l'Ordre maçonnique mixte international « Le droit humain » (un ordre fondé en 1893), fédération qui a vu le jour en 1921 ;
- la Grande Loge nationale française, fondée en 1913. Elle est issue de loges qui ont quitté le Grand Orient de France, dans le but de se rapprocher des rites définis par la Grande Loge unie d'Angleterre.
D'autres obédiences moins importantes perdurent, tel le Grand Prieuré des Gaules (Grand Directoire des Gaules), d'inspiration chrétienne et chevaleresque.
Après la Seconde Guerre mondiale sont apparues :
- l'Union maçonnique féminine de France, fondée en 1945. En 1952, elle fut transformée en Grande Loge féminine de France ;
- la Grande Loge traditionnelle et symbolique Opéra, fondée en 1958 par des membres issus de la Grande Loge nationale française ;
- la Grande Loge française du Rite ancien et primitif de Memphis-Misraïm, dont la fondation remonte à 1960. Elle est issue de la réorganisation des Rites maçonniques égyptien, dissous en 1998 ;
- la Loge nationale française, fondée en 1968.
L'intérieur du Temple maçonnique de Detroit, dans le Michigan (Etats-Unis). Photo : Byelikova
Pourquoi tant de secrets autour de la franc-maçonnerie ?
Il est vrai que si la franc-maçonnerie nourrit tant de fantasmes, c'est parce qu'elle a bien souvent été considérée comme étant une société secrète. Pourquoi ?
Longtemps et sous différents régimes, les libres penseurs qu'étaient les francs-maçons ont été considérés comme dangereux. Dangereux pour l'église, dangereux pour le pouvoir en place. De tout temps, les idées différant trop de la doxa officielle ont été considérées comme subversives. Cela fut le cas de certaines de celles des francs-maçons. L'objet de leurs réflexions faisait grincer bien des dents. Par ailleurs, nous avons vu que certaines assimilations ont mené à considérer les francs-maçons comme des complotistes. Pour protéger ses membres, la franc-maçonnerie a donc été contrainte de tenir ses activités secrètes.
Même au cours du XXe siècle, les francs-maçons durent cacher leurs activités, comme lors de la Seconde Guerre mondiale notamment. Ils furent en effet persécutés par les nazis, car leurs idéologies humanistes étaient en totale contradiction avec le totalitarisme de ces régimes. Quant aux régimes communistes soviétiques, ils considéraient les francs-maçons comme des bourgeois révolutionnaires. Dans les deux cas, ils furent persécutés et emprisonnés.
Mais au XXIe siècle, les choses ont évolué. Les francs-maçons font aujourd'hui tout pour communiquer sur leurs activités, leurs travaux et leur fonctionnement. Nombreuses sont les conférences et même les ateliers ouverts au grand public. Même si rejoindre une loge s'effectue toujours selon les mêmes rites.
Comment devient-on franc-maçon ?
Longtemps, il est resté impératif d'être parrainé pour devenir franc-maçon, l'intégration s'effectuant par cooptation. Ce n'est plus le cas et il est possible maintenant de candidater librement. Néanmoins, il s'agit toujours d'une candidature qui doit être motivée, dans laquelle il convient de développer ses motivations, les raisons du désir de s'investir dans la franc-maçonnerie. Cela peut être par exemple pour trouver un sens plus profond à sa vie et pour faire partie d'une communauté engagée dans la recherche de la vérité et du progrès personnel.
Cette candidature sera examinée avec soin et la réponse tardera peut-être à venir. Si elle est positive, le candidat pourra alors commencer son parcours initiatique, au travers des différents rituels (secrets, cela va de soi) et franchir les échelons dont le premier est Apprenti.
Si vous souhaitez aller plus loin dans votre compréhension de la franc-maçonnerie, vous pouvez vous procurer, par exemple, "La Franc-maçonnerie pour les Nuls" de Philippe Benhamou et Christopher Hodapp, ou "Histoire de la franc-maçonnerie française" de Pierre Mollier (Fayard). Ou encore vous rendre sur le site officiel du Grand Orient de France ou de la Grande Loge de France, entre autres.
Laissons le dernier mot à Harry S. Truman, 33e président des États-Unis dont l'affiliation maçonnique n'est un secret pour personne (il fut Grand Maître de l'État du Missouri) comme c'est le cas de nombreux hommes politiques : « La franc-maçonnerie enseigne l'amour fraternel, la tolérance mutuelle, la philanthropie et la vérité. Nous cherchons à faire de meilleurs hommes par des méthodes et des enseignements moralisateurs. »
