Impossible de visiter Los Angeles, sur la côte ouest des Etats-Unis, sans remarquer ces 9 lettres blanches qui se détachent sur une colline : HOLLYWOOD. Ce panneau est indissociable du cinéma américain, et son histoire est intrinsèquement liée au quartier éponyme. Mais il y a cependant une chose que peu savent : cette histoire, romanesque au plus haut point, n'a absolument rien à voir avec l'industrie cinématographique !
Hollywood, un mythe né de la spéculation et du cinéma
A l'origine, le quartier d'Hollywood, encaissé dans sa vallée, était un domaine privé de 60 hectares nommé ainsi presque par hasard par les Wilcox. Ce couple, qui a fait fortune dans l'immobilier, l'avait acheté dans l'intention de le vendre en parcelles. Nous sommes alors en 1886. La propriété est donc morcelée et des rues sont dessinées avec même une avenue centrale (le futur Hollywood Boulevard). Leur affaire marche tant et si bien que le domaine finit par devenir une municipalité en 1903 puis est absorbé par la ville de Los Angeles au cours de l'année 1910.
L'endroit plaît. Le climat est plus qu'indulgent, la lumière y a quelque chose d'irréel et les paysages sont extrêmement variés. Cela séduit quelques excentriques qui s'y installent pour faire des films (encore muets), une occupation nouvelle importée de la côte Est. Vous vous en doutez, Hollywood est en réalité en passe de devenir le pôle d'attraction d'une industrie jusqu'ici inconnue qui va bouleverser la petite bourgade, ainsi que le monde entier.
La genèse d'une enseigne mythique
Le bouillonnement d'Hollywood fait se tourner tous les regards de l'Amérique sur la petite localité. A l'aube des années 1920, le glamour réussit enfin à s'extirper du chaos des débuts, un quotidien jusque-là fait de tournages sordides et de campements sauvages pour les acteurs. Une certaine élite commence ainsi à émerger et les désormais stars expriment leur besoin de vivre selon un standing collant à leur statut.
C'est dans ce contexte propice aux affaires qu'un syndicat de promoteurs eut l'idée de frapper fort en sortant de terre toute une banlieue résidentielle aux influences méditerranéennes. Et climat propice ou pas, les promoteurs savaient très bien que pour solder leurs jolies résidences, il leur fallait attirer le chaland. Ils eurent donc l'idée d'en faire la promotion de manière insolite, en installant une enseigne géante sur le versant escarpé d'une colline surplombant les maisons. On devrait y lire le nom de leur projet immobilier : Hollywoodland.
Le design et la conception de l'enseigne de 13 lettres furent confiés à un sous-traitant (la Crescent Sign Company), et l'enseigne, montée en une quarantaine de jours, est inaugurée le 8 décembre 1923. L'opération aura coûté précisément 23 501,32 dollars américains, des frais auxquels s'ajoutent 936,16 dollars pour un point géant installé sous l'enseigne. Peu de personnes le savent en effet, mais le signe original arborait ce petit détail.
Pour l'anecdote, il s'agit d'un clin d'œil voulu par les promoteurs pour souligner l'exceptionnel dynamisme de la ville de Los Angeles. La Chambre de Commerce des États-Unis avait en effet pour habitude de publier une carte illustrant la santé des affaires dans les villes américaines. Presque unique "white dot" (point blanc) se démarquant sur une carte morose où le noir et le gris prédominaient, Los Angeles sortait du lot et les promoteurs d'Hollywoodland tenaient bien à le rappeler avec leur gigantesque enseigne.
Une enseigne hors normes
A l'époque, le signe "Hollywoodland" – écrit en Bold Sans Serif pour les graphistes curieux – était très probablement la plus grande enseigne lumineuse du monde. Oui, lumineuse, puisqu'à l'origine, les lettres étaient équipées de 3 700 ampoules d'éclairage, une prouesse en ce temps où la fée électricité venait à peine d'être domptée.
Le concepteur de l'éclairage, une société du nom de Electrical Products Corporation, a même conçu un système qui illuminait les lettres segment par segment, donnant un effet dramatique à toute la scène. D'abord, "HOLLY" s'illuminait puis s'éteignait. "WOOD" faisait ensuite de même, suivi de "LAND". Toutes les lettres s'illuminaient ensuite dans la nuit, rejointes à la fin par le point. Pour finir, toutes les lumières s'éteignaient et le cycle recommençait.
Chaque lettre faisait approximativement 14 mètres de haut pour 9 à 12 mètres de large. D'un bout à l'autre du mot, il fallait compter 165,50 mètres. La face des lettres étaient faites de tôles dont la cohésion était maintenue par un amas plus ou moins heureux de tuyaux d'échafaudage et de fils attachés à des poteaux électriques. Il faut comprendre ici que l'installation n'avait absolument aucune autre vocation que marketing et que sa durée de vie n'était alors pas prévue excéder 1 an et demi. Évidemment, il allait en être autrement.
Le premier sauvetage des panneaux historiques
Ramenés au taux de 2024, le coût des 13 lettres équivaudrait à environ 397 200 euros, 15 800 euros pour l'énorme point. Est-ce donc parce qu'il a tout de même coûté une petite fortune qu'il a été décidé d'entretenir le signe ? Ou plutôt parce que le syndicat, qui a investi dans de nouveaux lots, lui avait encore trouvé une utilité ? Quoi qu'il en soit, l'enseigne, toujours affublée de son suffixe "LAND", a été conservée, entretenue et renforcée au fil des années qui suivirent.
En 1929, un phénomène, venu encore une fois de la côte Est, bouleverse à nouveau la vie d'Hollywood : la Grande Dépression. Le krach boursier y fit son lot de victimes, dont les promoteurs d'Hollywoodland qui firent faillite en 1933. Les lettres ainsi que les lotissements changèrent de propriétaire et tombèrent dans l'escarcelle de la M.H. Sherman Company. C'est ce nouveau propriétaire qui supprima les lumières de l'enseigne, dans le but avoué de réduire les coûts de fonctionnement. D'ailleurs, la Sherman est bien embêtée par cet encombrant legs, car non contentes de lui coûter cher en entretien, les lettres ne semblent pas spécialement stimuler les ventes.
Le 19 septembre 1936, la décrépitude des panneaux s'imposa à tous lorsque le premier "O" de "WOOD" tomba, soufflé par le vent. Un rapport fait deux jours plus tard mentionna l'état désastreux de l'enseigne, si désastreux qu'il fut chaudement recommandé de ne plus perdre d'argent à l'entretenir. Résultat, dans les 2 ans et demi qui suivirent, elle perdit deux autres lettres. Sous la pression du public néanmoins, la Sherman finit par entreprendre quelques menus travaux en 1939 et remis le "O" en place. Peine perdue, car en mars 1944, une forte tempête souffla cette fois-ci le "H" qui devait alors rester à terre pendant plus de 5 ans.
En décembre 1944, sans doute de guerre lasse, la M.H. Sherman Company proposa à la ville de Los Angeles de lui céder le terrain sur lequel était l'enseigne pour 10 malheureux dollars (approximativement 165 euros de 2024), une offre que la ville accepta fin janvier 1945. En 1947, une commission qualifia l'enseigne délabrée, qui ne disait plus que "OLLYWOODLAND", de pollution visuelle et proposa de la démolir. Contre toute attente pourtant, les habitants du quartier protestèrent avec tant de véhémence que rien ne put être décidé pendant 2 ans. Finalement, on retint la proposition de la Chambre de Commerce d'Hollywood qui voulait bien financer la restauration du "H", sous condition du retrait des quatre dernières lettres du signe.
Octobre 1949, ce fût chose faite avec en prime, la restauration du reste des panneaux. Pour la première fois de son histoire, le mont Lee arborait un magnifique "HOLLYWOOD" sur son versant, un signe visible à plus de 24 kilomètres.
Les second et troisième sauvetage du panneau Hollywood
Les années qui suivirent cette première restauration ne furent pas de tout repos pour l'enseigne. Elle fut négligée, la rouille se réinstallant au fil des décades, aidée dans son travail de sape par les termites et les intempéries. La ville, préoccupée par une crise économique et la hausse de la criminalité, ne se souvint des lettres géantes qu'à leur cinquantenaire, en 1973. Les panneaux furent alors élevés au rang de monument historique et culturel, et ce malgré leur état de dégradation avancé. Plusieurs levées de fonds eurent ensuite lieu et permirent une réfection de l'enseigne.
Hélas, cette seconde restauration n'en était pas vraiment une. Il s'agissait plus d'un ravalement de façade, une opération cosmétique qui toucha peu ou prou à la structure des lettres. Elles ne résistèrent ainsi pas à l'énorme tempête qui frappa le sud de la Californie en février 1978, les lettres les plus atteintes étant le dernier "O" qui mordit la poussière, le premier qui perdit un tiers de sa surface, et le "Y", partiellement affalé sur lui-même.
Cette même année, un rapport sur l'état de l'enseigne convainquit la Chambre de Commerce d'Hollywood que la structure entière du monument était irréparable et qu'il fallait tout refaire à neuf. Elle lança donc une nouvelle collecte de fonds, recevant l'aide inattendue du fondateur du magazine "Playboy", Hugh Hefner, qui en effectua également plusieurs de son côté. Grâce à lui, des entrepreneurs et des célébrités mirent la main au portefeuille pour chacun sauver une lettre du symbole d'Hollywood :
- H – Terrence Donnelly (éditeur du journal "Hollywood Independent Newspaper")
- O – Alice Cooper (chanteur de rock)
- L – Les Kelley (homme d'affaires)
- L – Gene Autrey (chanteur et acteur)
- Y – Hugh Hefner (fondateur du magazine Playboy)
- W – Andy Williams (crooner)
- O – Giovanni Mazza (producteur de films italien)
- O – Warner Bros Studios
- D – Dennis Lidtke (homme d'affaires)
Le 10 août 1978, les anciennes et très usées lettres furent démolies pour faire place aux nouvelles. Adieu les poteaux électriques en bois, on utilisa cette fois-ci des poutres en acier inoxydables à la place. Après 3 mois de travaux, le nouveau panneau "HOLLYWOOD" se dressait enfin fièrement sur le mont Lee !
Les nouvelles lettres sont quasiment de mêmes dimensions que les originales. L'enseigne est toutefois plus petite (car sans la dernière syllabe "LAND") et ne fait plus maintenant que 137 mètres de long.
Un centenaire fêté en sourdine
Pour les 100 ans d'un symbole, on imagine facilement galas, feux d'artifices et concerts, surtout dans une ville comme Los Angeles. Il en fut tout autre. L'année du centenaire est tombée dans un contexte compliqué mêlant une grève historique des acteurs et des scénaristes (terminée en octobre 2023), des tensions politiques exacerbées et une crise quasi historique des sans-logis. Ajoutez à cela une levée de boucliers particulièrement hostile de la part des résidents actuels d'Hollywoodland, peu enclins à tirer un trait sur leur tranquillité même pour une journée, et vous comprendrez aisément pourquoi la célébration de ce centenaire s'est déroulée discrètement.
Le conseil municipal de Los Angeles a décidé de fêter l'événement le 31 octobre 2023 et l'a très simplement fait avec une petite cérémonie à l'Hôtel de ville, avec gâteau d'anniversaire et discours de circonstance. Le conseil a tout de même tenu à déclarer officiellement ce jour comme étant le "Hollywood Sign Day", (jour du panneau Hollywood, en français). Et tant pis si ce jour terminant octobre était déjà particulièrement pris par les sorcières et les citrouilles.
Les panneaux, eux, ont eu le droit de revêtir quelques instants leur habit de lumière d'antan (voisinage oblige). Le 8 décembre 2023 ainsi, ce fut la première fois depuis les années 1930 que les lettres ont été ré-illuminées, même si en réalité, seul un tout petit pan d'un "L" a reçu des ampoules.