Entre mythes et réalité, les sous-sols de Paris alimentent l'imagination de beaucoup. Si les Catacombes et leurs milliers d'ossements soigneusement empilés sont largement connues autant que visitées, bien d'autres secteurs mystérieux restent à découvrir, au moins virtuellement, car la plupart sont interdits au public. Pour autant, il est fréquent que des cataphiles et autres explorateurs urbains bravent les interdits et s'aventurent dans le ventre de la Ville Lumière. Ils y séjournent parfois plusieurs jours, à leurs risques et périls. Une brigade policière spécialisée a même été créée pour les traquer. Nous allons vous conter les dessous de Paris, ainsi que ses côtés les moins connus, en vous dissuadant d'y aller voir de plus près (sauf pour les lieux officiellement autorisés et accompagnés) pour votre propre sécurité.
Les catacombes de Paris
C'est sûrement le lieu le plus emblématique des sous-sols parisiens, celui qui fait couler le plus d'encre et qui alimente le plus l'imagination. C'est également quasiment le seul qui soit ouvert au public (de manière encadrée, bien sûr). Situées à 20 mètres de profondeur et longues de 1 500 mètres, ces anciennes galeries de carrières renferment le plus grand ossuaire souterrain du monde, sur une superficie totale de 11 000 mètres carrés.
En effet, les cimetières intra-muros posaient un problème de salubrité. À la fin du XVIIIe siècle, l'idée a donc germé de réaffecter d'anciennes carrières sous la plaine de Montrouge, afin d'en faire un ossuaire. Les restes gisant dans différents cimetières de la capitale ont ainsi été exhumés de leur sépulture pour y être transférés. Y reposent depuis plusieurs milliers d'individus, dont les ossements ont été méticuleusement rangés, avec l'indication du cimetière d'origine. Cet "Ossuaire municipal de Paris", nécropole inspirée des Catacombes de Rome, a de ce fait été renommé "Catacombes de Paris", suscitant très vite un grand intérêt auprès du public. Il a alors été ouvert aux visiteurs à partir de 1809. En prenant rendez-vous, on peut ainsi y accéder en descendant les 131 marches qui y mènent (vous en remonterez 112 à la sortie).
Les anciennes carrières de la capitale
Il fut un temps où l'on ne s'embarrassait pas de principes. Ainsi, au Moyen Âge, creusait-on allègrement les sous-sols de la ville afin d'en extraire des minéraux. Par exemple, le très résistant calcaire dont sont faites les magnifiques colonnes de la Cathédrale Notre-Dame. Mais chacun extrayait également le matériau nécessaire à la construction de sa propre maison. Malheureusement, sans aucun souci des conséquences, comme les éboulements (prévisibles) notamment. D'immenses carrières ont ainsi été excavées, dont certaines des plus vastes se situent sous le parc Montsouris et la Butte Montmartre. C'est à partir du XVIIIe siècle que les autorités ont réellement pris conscience de l'ampleur du problème, instaurant alors des règles strictes, stoppant leur exploitation et en interdisant l'accès.
Le réseau métropolitain maille les sous-sols parisiens
Le métro représente 226 kilomètres de voies ferrées. La première ligne (entre Neuilly et Vincennes) a été ouverte en 1900. Depuis, le réseau ferroviaire souterrain de Paris s'est considérablement étendu, mais la RATP veille à la préservation de ce patrimoine. Certaines stations sont de vraies œuvres d'art, comme les reproductions de statues de la station Louvres-Rivoli ou celle des Arts-et-Métiers recouverte de cuivre. Si vous êtes attentifs durant vos trajets, vous pourrez éventuellement voir furtivement sortir de l'ombre une station fermée depuis plus de 80 ans. Il en existe quatre : Arsenal, Croix-Rouge, Champs-de-Mars et Saint-Martin, mais certaines sont dissimulées au regard, quand d'autres sont parfois illuminées à l'occasion d'expositions.
La station de métro Arts-et-Métiers et sa galerie recouverte de cuivre
Les égouts de Paris, un labyrinthe à plusieurs mètres sous terre
Initialement, les égouts s'écoulaient directement dans les rues de la capitale, ce qui posait d'évidents problèmes d'hygiène. En 1832, cela a même été à l'origine d'une grave épidémie de choléra occasionnant la mort de 19 000 personnes. C'est à la suite de cette tragédie que le baron Haussmann, qui a tant modernisé la ville, s'est attaqué au problème en décidant que les eaux usées seraient désormais acheminées à partir de conduits souterrains. Il a confié la réalisation du projet à l'ingénieur Eugène Belgrand. Un réseau de tuyaux et tunnels a été savamment orchestré, débouchant en périphérie afin de participer à la fertilisation des cultures qui s'y trouvaient, l'écoulement s'effectuant de façon gravitationnelle.
Cette infrastructure extrêmement moderniste est encore en usage aujourd'hui et est même parcouru du réseau de câbles nécessaire à la fourniture d'internet aux Parisiens. Il est quotidiennement et soigneusement contrôlé par des agents d'assainissement, qui traquent notamment les gaz toxiques. Leur orientation est facilitée par des plaques correspondant aux rues en surface.
De gigantesques réservoirs d'eau souterrains
Les sous-sols renferment encore d'autres mystères. Par exemple, cinq immenses réservoirs de stockage d'eau potable situés aux portes de Paris, dont le plus impressionnant est certainement celui de Montsouris, conçu également par Eugène Belgrand cité plus haut. Encore utilisé de nos jours, il est constitué de deux étages comportant quatre compartiments mesurant chacun 254 mètres de long sur 127 mètres de large. 1 800 piliers sont nécessaires pour soutenir ses voûtes et arcades. Jusqu'en 1996, ce sont des truites qui étaient utilisées pour tester la pureté de l'eau et de nombreux aquariums y sont encore visibles. Depuis, les analyses en laboratoire ont remplacé les poissons, ce qui est certainement plus éthique.
La mairie de Paris vous parlera de « cathédrale d'une eau bleu lagon », mais abandonnez l'idée d'une visite des lieux, car le réservoir est fermé au public. Les quatre autres réservoirs se situent au niveau de Ménilmontant, Saint-Cloud, Les Lilas et L'Haÿ-les-Roses.
La face cachée du canal Saint-Martin
Tous les Parisiens ne le savent pas, mais sous le 11e arrondissement se trouve une partie souterraine du canal Saint-Martin. Plus exactement, deux des 4,55 kilomètres qu'il mesure en totalité. Les bords du canal sont très prisés des réalisateurs de cinéma, nous avons tous en tête le film "Amélie Poulain", par exemple. Si elle est peu connue, la partie souterraine est néanmoins, elle aussi, terriblement romanesque. À tel point que plusieurs tournages cinématographiques s'y sont également déroulés, comme ceux de "Paris brûle-t-il" et "La reine Margot". Il se dit que s'y déroulent environ deux tournages par semaine. Il faut reconnaître que l'obscurité de certaines portions et l'éclairage légèrement surréaliste de puits de lumière sur certaines autres offrent un large panel de possibilités aux cinéastes en quête de plans originaux et esthétiques.
Sortie de tunnel sur le canal Saint-Martin à Paris
Les entrailles de Paris et leurs infrastructures moins poétiques
Pour être exhaustif, il convient d'ajouter à notre liste, même si c'est moins glamour, les parkings souterrains capables d'accueillir des milliers de véhicules, les sous-sols d'immeubles, les tunnels techniques et routiers et même d'immenses salles privées dont l'avenir est encore incertain. En fait, si vous habitez la capitale, vous résidez sur une tranche d'emmental. Mais rassurez-vous, grâce au génie du baron Haussmann, puis à nos ingénieurs contemporains, le tout est sécurisé et les risques d'effondrement sont minimes.
Le royaume des cataphiles
Bravant les interdits et les dangers, des dizaines d'explorateurs souterrains, appelés également "cataphiles", s'introduisent dans les sous-sols de Paris chaque jour. Si la plupart du temps, ils ne font qu'effectuer une balade souterraine, certains y installent parfois des campements de fortune pour y passer plusieurs jours. Les vastes salles que constituent les carrières sont particulièrement prisées.
Les motivations de ces explorateurs clandestins sont diverses. Il en est qui se battent pour la préservation des lieux, s'interdisant d'y apporter une quelconque modification. D'autres au contraire veulent y laisser leur empreinte et n'hésitent pas à commettre des dégradations, par le biais de tags par exemple. S'y déroulent même des fêtes clandestines et autres rave-partys, ou encore des séances de cinéma improvisées.
Face à ce phénomène, une brigade de police dédiée a été créée, surnommée les "cataflics". Ils traquent continuellement ces imprudents visiteurs, dont certains s'égarent régulièrement, se blessant même parfois.
Tunnel en pierre voûtée dans les catacombes de Paris
Des légendes urbaines qui ont la peau dure
Les sous-sols de Paris rassemblent plusieurs critères parfaits pour exciter l'imagination et alimenter tous les fantasmes. Non accessibles, sombres, mal connus, comportant un danger réel… Ils font l'objet de nombreuses légendes urbaines et histoires incroyables, parmi lesquelles certaines sont tout à fait réelles, comme celle du crocodile !
Le réseau d'égouts notamment, qui représente 2 675 kilomètres, donne lieu à de nombreuses légendes. Il se dit qu'une foule de reptiles s'y promènent librement, ce qui est faux, car ils sont rigoureusement contrôlés comme nous l'avons vu. Il n'empêche qu'en 1984, les égoutiers sont bel et bien tombés sur un crocodile du Nil à la hauteur du Pont-Neuf (de 70 centimètres "seulement"). Personne n'a jamais su comment l'animal était arrivé là. Il a été capturé et acheminé à l'aquarium de Vannes. Par ailleurs, ces mêmes égouts auraient servi de repaire et de voie de navigation à différents bandits.
La légende du fantôme de l'Opéra Garnier, mêlant réalité et fiction, est peut-être la plus célèbre de toutes. Elle tire son origine de l'incendie qui ravagea l'Opéra Le Peletier en 1873 et de la mort d'un ouvrier lors de la construction de l'opéra Garnier. Elle raconte l'histoire d'un spectre qui hanterait les sous-sols, installé près d'un lac souterrain, et serait tombé amoureux d'une chanteuse qu'il aurait enlevée. De nombreux accidents et sabotages inexplicables, attribués à l'esprit de vengeance du fantôme, renforcent le mystère autour de cette fable.
Quant à Philibert Aspairt, il est devenu le saint patron des cataphiles, pour y être décédé à la suite d'une exploration qui a mal tourné en 1993. Son corps ne fut retrouvé que 11 ans plus tard. Certainement mort de faim et de soif après s'être égaré dans la pénombre, on raconte que le but de sa promenade souterraine était la cave des Chartreux située à proximité. Il aurait voulu se délecter de leur précieux nectar. Il est fêté le 3 novembre, mais son existence réelle est néanmoins régulièrement remise en cause.
Beaucoup d'histoires de trésors cachés, de passages secrets inexplorés courent toujours et les ossements régulièrement découverts au fil des galeries ne font qu'alimenter les fantasmes, tout comme les étranges sons que certains prétendent entendre. Il faut rappeler que s'introduire dans les tunnels, les salles, les carrières et les catacombes expose à différents dangers : désorientation, intoxication (champignons, émanations) et blessures. Une centaine de personnes sont interpellées chaque semaine. Alors, si vous êtes aventurier et curieux, il vous reste l'imagination, car vous ne verrez peut-être jamais plus la ville du même œil, visualisant désormais ce qui se déroule sous vos pieds.